Tribune publiée dans les Echos du 05/02/2021.
Alors que nous avons besoin de confiance et de stabilité, et qu’un troisième confinement est à l’étude, on peut se demander si le fait de savoir s’il serait avantageux ou non d’annuler le supplément de dette publique généré par la crise sanitaire n’est pas une diversion. Car l’essentiel est de ne pas oublier que ce sont bien les entreprises, quelles que soient leur taille, qui vont in fine régler une bonne partie de la facture.
Croulant déjà sous l’endettement avant le premier confinement, les entreprises du secteur non financier (SPNF) ont encore vu leur encours de crédit bondir de plus de 11 points entre avril et juin derniers par rapport au trimestre précédent pour atteindre 150,2% du PIB au début de l’été 2020. C’était déjà très au-dessus du niveau observé dans le reste de la zone euro (127,6%) et a fortiori de celui constaté en Allemagne (100,4%). Cette explosion de la dette privée s’explique par un recours aussi indispensable que massif au prêt garanti par l’État (PGE), avec une conséquence grave : le creusement de 130 milliards d’euros supplémentaires en tout de l’endettement privé, 630 000 sociétés de l’hexagone ayant bénéficié du PGE pour compenser les fermetures administratives et partiellement leurs pertes d’activité liées aux restrictions sanitaires.
Des conditions de remboursement favorables sont certes déjà proposées aux entreprises, avec des échéances qui démarreront en avril prochain et la possibilité, pour celles qui le souhaiteraient, de reporter leur première mensualité au début de l’année 2022. Une facilité, qui n’est pas un cadeau car pour beaucoup de PME, elle restera insuffisante. En effet, il y a de sérieux doutes sur la capacité réelle qu’auront bon nombre d’entre elles à honorer leurs premiers remboursements. L’immense majorité des entreprises concernées est de très petite taille : près de 89% des bénéficiaires du PGE ont moins de dix salariés et dégagent un chiffre d’affaires n’excédant pas 2 millions d’euros annuels. Ces emprunteurs sont particulièrement exposés à la crise actuelle, surtout dans les secteurs qui paient un lourd tribut aux restrictions et aux fermetures administratives. Ainsi le Commerce et le secteur de l’Hôtellerie et de la Restauration représentent à eux seuls presque un tiers (soit 39,4 milliards d’euros) des volumes de nouveaux prêts contractés depuis mars dernier.
Comment espérer raisonnablement que ces très petites entreprises fragilisées, auxquelles il faut ajouter celles du Tourisme, des salles de sport, de l’Événementiel et de la Culture pourraient trouver les ressources nécessaires pour rembourser le PGE en 2021-2022 alors même que la levée des restrictions d’activités reste plus que jamais incertaine tout comme son calendrier ? Beaucoup de ces dirigeants d’entreprises ne peuvent aujourd’hui plus travailler, tout en continuant de décaisser des loyers, des factures diverses et s’acquitter de leurs dettes antérieures… En outre, même si les entreprises qui ont souscrit un PGE pouvaient dans les prochaines années puiser dans leurs revenus, leurs fonds propres, pour le rembourser, cela se ferait au détriment de leur capacité à investir.
Pour réduire la hauteur du « mur des faillites » annoncé au rythme de 50 000 défaillances pour la seule année 2021 par l’assureur Euler Hermès et éviter d’obérer la dynamique d’investissement et d’innovation des TPE/PME, on ne doit pas « rajouter une couche supplémentaire de contraintes financières » pour les employeurs des secteurs les plus vulnérables. De toute évidence, les six prochains mois de cette nouvelle année ne devront pas être marqués par le retrait des dispositifs publics, mais au contraire par un ultime coup de fouet de l’État à l’économie. L’État, avec le soutien des Régions, devrait consentir aux entreprises de moins de 50 salariés, évoluant dans les filières les plus touchées par la crise, une annulation totale ou partielle de leur prêt contracté avant le 31 décembre 2020.
Conçue avec l’objectif majeur de prévenir l’effet d’entrainement qu’auraient leurs faillites en trop grand nombre sur leurs créanciers (banques, fournisseurs, bailleurs, État), cette annulation pourrait se faire au cas par cas, profiter de préférence aux seules entreprises viables et se fonder sur une utilité territoriale et sociétale. Ce geste – qu’on peut espérer être le dernier nécessaire de cette ampleur- reposera très largement sur l’État, garant à 90% des prêts consentis (et dont la garantie serait de toute façon appelée en cas de défaut des débiteurs). Il pourra aussi provenir d’une contribution régionale et européenne, dans une logique de mutualisation des risques à l’échelle territoriale et communautaire, en puisant dans l’enveloppe du plan de relance de 750 milliards d’euros. Dès lors que l’État français prendra à sa charge tout ou partie de l’effacement des dettes au titre du PGE, rien n’empêche de penser que ce « quoi qu’il en coûte » sera par ailleurs compensé par une intervention de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de sa politique de rachat des actifs publics.
La campagne de vaccination qui commence doit porter ses fruits pour autoriser un redressement progressif de l’activité de secteurs sinistrés (Tourisme, Culture et Loisirs, Transports, Hôtellerie, Restauration, Commerce) qui représentent à eux seuls plus de 9% de la richesse nationale. Tirer un trait sur tout ou partie de cette dette, serait un beau symbole de solidarité pour toutes ces entreprises qui méritent de pouvoir redémarrer sans un boulet supplémentaire aux pieds.