Tribune publiée le 06/10/2021 dans Les Echos
Face à la double persistance des difficultés du monde de la culture et des nouvelles pratiques culturelles des Français, il faut aider les entreprises culturelles à se relever et trouver leur nouvel équilibre.
De tout temps les industries culturelles, en France, ont connu des hauts et des bas. Mais la crise sanitaire de la Covid-19 a lourdement impacté le monde de la culture. Tout particulièrement en Île-de-France, région culturelle par nature qui concentre 45 % de l’emploi culturel national et bénéficie d’un écosystème lui permettant de se distinguer dans de nombreux domaines – audiovisuel, cinéma, multimédia… Un « bouillon de culture » qui participe puissamment à la vitalité sociétale et à la prospérité économique de la région. Alors que tous les acteurs économiques du secteur – touchés par la crise – essaient de ne pas couler et que des emplois sont en jeu, que les Français – privés de culture – ont adopté de nouvelles pratiques, il est temps d’aider nos entreprises culturelles à se relever et trouver leur nouvel équilibre.
« Tous les artistes et professionnels de tous les secteurs et filières de la culture ont été fortement et durablement ébranlés par les fermetures administratives »
Tous impactés
Structures de création et de diffusion, artistes-auteurs et techniciens du spectacle, libraires et disquaires, cinémas et même médias audiovisuels dépendant des revenus publicitaires : tous les artistes et professionnels de tous les secteurs et filières de la culture ont été fortement et durablement ébranlés par les fermetures administratives, la suppression puis le télescopage des programmations décalées et le tarissement durable des flux touristiques. Du jour au lendemain, certains territoires, comme l’hypercentre francilien, sont passés du « sur-tourisme » au « sous-tourisme », la saturation des musées, lieux et sites culturels cédant la place à leur désertion.
Si tous sont ébranlés, certains le sont plus que d’autres. Certes, une fois basculé dans la catégorie des commerces dits « essentiels », le livre a mieux supporté les restrictions. Mais le cinéma, les musées, la musique et le spectacle vivant ont très mal vécu les fermetures. Et pour cause : les cinémas et les musées sont restés portes closes pendant près de 300 jours entre le printemps 2020 et le printemps 2021.
En dépit d’un effort sans précédent des pouvoirs publics pour soutenir les artistes et les professionnels ainsi qu’aider les entreprises (à la date où nous écrivons, environ 12 milliards d’€, dont 2,5 milliards d’€ du fonds de solidarité, 2,4 milliards d’€ de PGE et le dispositif de « l’année blanche » en faveur des intermittents en fin de droit au chômage), beaucoup ont été indignés d’être un peu rapidement classés parmi les activités non essentielles, comme si la culture n’était soudainement plus « ce qui demeure dans l’homme, lorsqu’il a tout oublié » (Édouard Herriot).
« Autrement dit, la crise n’aura pas été une simple parenthèse, mais une « révolution culturelle ».
Les nouvelles pratiques culturelles perdurent
De nouvelles pratiques culturelles ont été acquises en temps de confinement, alors que l’accès à la culture de sortie et aux biens culturels physiques n’était plus possible. Les pratiques en amateur se sont développées : danse, dessin, musique, peinture, sculpture, etc. Sans aucune incidence sur l’activité économique territoriale et l’emploi local, de nombreux contenus culturels mondiaux ont été consommés sur écran avec le développement de la consultation de ressources culturelles numériques : visite virtuelle d’une exposition ou d’un musée, visionnage d’un concert, d’un spectacle de théâtre ou de danse… L’utilisation des réseaux sociaux a elle aussi connu un boom significatif. L’écoute de musique et la lecture de livre ont au contraire chuté. Amateurs ou épris d’arts, tous ont peu ou prou acquis ces nouvelles pratiques culturelles, y compris les personnes âgées de plus de 60 ans et les plus modestes. Y compris en zappant d’une activité culturelle à l’autre.
Depuis, ces nouvelles pratiques culturelles perdurent. Autrement dit, la crise n’aura pas été une simple parenthèse, mais une « révolution culturelle ». Cette évolution des attentes des consommateurs est probablement irréversible…
La crise a aussi accéléré la numérisation d’une partie de l’offre culturelle qui a pu produire, diffuser et rester accessible – voire parfois conquérir de nouveaux publics – grâce aux nouvelles technologies. Au plan économique, cette numérisation de la culture reste toutefois davantage un pis-aller de confinement qu’un relais de croissance post-confinement.
« Trouver un équilibre irriguant mieux tous les territoires et dessinant une nouvelle géographie de l’attractivité culturelle régionale »
À la recherche du nouvel équilibre
À l’automne 2021, le secteur culturel ne s’est pas encore relevé de la crise sanitaire. L’emploi et la transmission des savoir-faire sont en danger. Les difficultés pour les activités par nature artisanales persistent. Parfois même empirent : nécessaire, voire indispensable, l’entrée en vigueur du passe sanitaire en août n’en aura pas moins contribué à faire chuter la fréquentation des salles de cinéma…
L’État s’est engagé à maintenir les aides aux acteurs de la culture tout en affinant un ciblage sur mesure en fonction des situations sectorielles. Il a récemment annoncé une enveloppe de 400 millions d’€ supplémentaires pour moderniser une industrie culturelle et créative confrontée à de nouveaux usages, notamment numériques. Principaux objectifs : renforcer la solidité et la compétitivité des entreprises, accélérer la transformation numérique et soutenir le développement de l’industrie culturelle française à l’internationale.
Pour relancer l’ensemble des secteurs artistiques et redynamiser notre modèle culturel et l’emploi sectoriel, les pouvoirs publics (État, régions et collectivités) et l’ensemble des parties prenantes doivent maintenant investir les différents champs d’action des politiques culturelles, de la création à l’éducation artistique, en passant par la diffusion, les actions culturelles et transversales, etc. Avec trois principaux défis. Premièrement, trouver un équilibre irriguant mieux tous les territoires et dessinant une nouvelle géographie de l’attractivité culturelle régionale, en encourageant notamment l’événementiel culturel de proximité. Deuxièmement, favoriser le mécénat d’entreprise des TPE-PME pour financer des projets culturels locaux. Troisièmement, susciter et accompagner l’émergence des nouveaux talents. Sans oublier, bien sûr, le défi plus global de la démocratisation de l’accès à la culture : une culture de tous, par tous et pour tous.
Alors que certains produits culturels mondiaux s’affranchissent des frontières, des coûts sociaux et des contraintes juridiques comme financières, accompagner nos entreprises culturelles n’est pas se retrancher dans notre village gaulois, mais c’est, au contraire, soutenir un patrimoine culturel matériel et immatériel qui contribue au rayonnement international de la France et à l’attractivité de la région capitale à travers le monde.