Tribune publiée le 6 septembre dans la rubrique économie de L’Opinion
Le Président fondateur du think tank Etienne Marcel en appelle à toutes les parties prenantes, et notamment aux grandes entreprises, pour qu’elles améliorent leur comportement de paiement au bénéfice de tous, y compris de leur propre réputation.
Depuis la Covid-19, les crises se suivent, la dette des entreprises augmente et la situation financière de certaines PME devient critique. Pendant ce temps, les créances interentreprises demeurent à un niveau élevé. Si les règles en matière de délais de paiements sont devenues plus claires depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008, force est en effet de constater que les délais de paiements évoluent en « dents de scie ». L’Observatoire des Délais de Paiement en rend compte rapport après rapport. À date, le manque de trésorerie des PME imputable aux retards de paiement de leurs clients s’élève à environ 12 milliards d’euros.
Une situation connue
Le problème n’est pas nouveau, les causes sont connues, les solutions aussi. Les mauvaises pratiques en matière de délais de paiement ont pourtant la vie dure. Et, si nous avons beaucoup espéré des nouvelles règles mises en place en 2015 par Bercy, avec le durcissement des sanctions financières, le « name and shame »,l’exigence de transparence, elles ne suffisent pas à inverser la tendance. La généralisation des bonnes pratiques marque le pas dans les entreprises – publiques ou privées – et les collectivités. Et les interventions positives de la Médiation des entreprises ne suffisent pas.
Ainsi se perpétuent les générations de mauvais payeurs. Ce sont des pratiques habituelles voire, dans certains secteurs, des stratégies financières, avec la recherche délibérée d’une dépendance susceptible de faire baisser le prix des prestations fournies. Certains donneurs d’ordre profitent de la moindre organisation des petites structures économiques, et de leur moindre capacité à faire appliquer les intérêts de retard prévus aux contrats commerciaux (ou l’absence de clauses de retards), pour réclamer au fil de l’eau des documents complémentaires et prolonger les délais.
Les PME sont la catégorie d’entreprise la plus pénalisée par les retards de paiement. Certaines structures, « le nez dans le guidon », envoient tardivement leurs factures et relancent tardivement leurs partenaires. Si le délai plafond de 60 jours pour les paiements entre professionnels est un bon indicateur légal, dans la réalité, une large majorité de PME se fait payer à 90 jours, 180 jours, voire un an et plus, dans certaines situations dégradées.
Tous les secteurs professionnels ne sont pas logés à la même enseigne : l’hébergement et la restauration sont particulièrement pénalisés. Ni les régions du reste : en fonction des tissus économiques locaux. Ainsi, la situation des délais de paiement est encore plus dure pour les PME ultramarines qui subissent des spécificités locales.
Un appel à la mobilisation générale
Au moment où un autre « retard » vient d’être acté par le Gouvernement, avec le nouvel étalement de la suppression de la CVAE,récupérer 12 milliards d’euros devrait mobiliser prioritairement toutes les parties prenantes qui ont à cœur la défense des intérêts économiques des PME et le rééquilibrage de leur trésorerie. Pour faire évoluer les comportements et améliorer la bonne santé financière des entreprises, il n’est pas utile de changer la loi. Il n’est pas plus utile d’instaurer des sanctions administratives nouvelles que certains s’ingénient à contourner. Sonnons plutôt la mobilisation générale de tous les acteurs économiques et valorisons les bonnes pratiques interentreprises. C’est possible ! Ces dix dernières années, c’est l’Etat qui a réalisé le plus de progrès pour réduire ses délais de paiements vis-à-vis de ses fournisseurs.
Les très grandes entreprises possèdent la clef du changement. N’ayant pas véritablement besoin de l’actuel « transfert de trésorerie » de 12 milliards d’euros, il leur incombe de faire bouger les lignes, en améliorant leur comportement de paiement et en en faisant un enjeu réputationnel sous l’angle « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE) pour valoriser la solidarité économique interentreprises. Améliorer les comportements de paiement contribuera aussi à retisser le lien de confiance parfois distendu dans les relations interentreprises, une évolution favorable au dynamisme de l’activité économique.
Bernard COHEN-HADAD
Président fondateur du think tank Etienne Marcel