Article paru le 3 août dans La revue politique et parlementaire
Au lendemain des émeutes, le Président fondateur du think tank Etienne Marcel plaide pour que la politique de la ville soit une politique d’impulsion et d’accompagnement de l’entrepreneuriat.
Dans un rapport de 2020 sur l’attractivité des quartiers prioritaires, la Cour des comptes avait posé un diagnostic accablant : en dépit des moyens humains et matériels mobilisés, ces quartiers populaires avaient en effet déjà connu un recul économique et commercial. Et si les récentes émeutes de juin – juillet 2023 ont coûté plus d’un milliard d’euros de dégâts pour les entreprises et touché en Île-de-France plus de 140 communes, les aides conjoncturelles – triste constat – n’ont pas suffi, ne suffisent pas et ne suffiront pas. Il faut en effet « mieux de moyens » et d’autres interlocuteurs.
Le cercle vicieux de la violence
Nul doute que les récentes émeutes urbaines, qui ont d’autant plus sidéré la France et les Français qu’elles étaient largement « nihilistes », avec des pillages de commerces et des dégradations de lieux commis par des bandes de jeunes mineurs, y compris « près de chez eux », et donc à leurs propres dépens, ont encore dégradé la réputation de ces quartiers. C’est un premier cercle vicieux. La violence creuse un peu plus le fossé avec le reste du pays et accroît les difficultés à s’en sortir. Elle nuit durablement à l’attractivité des quartiers, leur valorisation économique et renforce la fracture sociale.
Pour ces territoires en général, avec leur lot de difficultés, et pour les commerces en particulier, lesquels jouent un rôle central comme « tisserands » de lien social, c’est la « double peine ». Les entrepreneurs sont la plupart du temps de petits patrons, des indépendants qui vivent difficilement et luttent pour contribuer à l’économie de proximité, nécessairement sociale et solidaire. Leur taux de marge est faible. Leur activité reste fragile. Leur avenir : tutoyer le seuil de pauvreté tout en travaillant.
Un ciel lourd de menaces
D’autant que la concurrence du e-commerce est redoutable et pourrait accélérer la désertification économique. Depuis la Covid et l’avènement du télétravail, l’évolution des modes de production, de distribution et de consommation, génère un « effet ciseaux » pour les habitants des quartiers populaires : ils travaillent dans les secteurs « perdants » du télétravail (entreprises de restauration, services de bureau, etc.) et leurs métiers sont les moins télétravaillables. Sauf à se replier sur la livraison à domicile, en plein boom. Un pis-aller… L’ubérisation de l’économie est aussi la cause de la disparition des commerces de proximité !
C’est un second cercle vicieux. L’éloignement « en cascade » des services privés et publics réduit la ville à sa plus simple expression, une cité-dortoir, avec des quartiers « inactifs », au sens de dépourvus d’un marché du travail propre, dont les habitants sont contraints aux déplacements pendulaires vers le bassin d’emploi le plus proche.
L’entreprise près de chez vous !
La surdensification urbaine de certains de nos quartiers, l’absence de réponse à l’inclusion économique et par le travail dans nos entreprises, la non valorisation des bonnes pratiques entrepreneuriales de proximité posent question. Seule une politique économique ambitieuse et ouverte à tous les acteurs économiques, peut permettre aux habitants des quartiers populaires de mieux les intégrer à la vie de leur propre ville. La nouvelle Secrétaire d’État chargée de la Ville, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, le rappelle : il faut faire venir les entreprises dans les quartiers populaires. Si la politique de la ville doit être une politique de l’entrepreneuriat et de l’accompagnement des entrepreneurs, c’est pour être une politique de la réalisation des projets concrets. Elle ne doit pas multiplier les strates d’interventions inutiles, les interlocuteurs faussement mobilisés, les associations de rencontre, se réconforter des discours d’intention. Parler concrètement et accompagner durablement ceux qui vivent dans nos quartiers, entrepreneurs, collaborateurs, riverains, jeunes, c’est tout l’enjeu de la prochaine génération des contrats de ville « Engagements Quartiers 2030 ». La Ministre chargée des PME et du Commerce, Olivia GRÉGOIRE, devra être pleinement mobilisée dans ce sens.
Pour replacer l’activité économique au cœur des quartiers populaires, créer un écosystème favorable à la création et au développement des entreprises, offrir à leurs habitants de nouvelles opportunités, tout en reconnaissant que les précédentes politiques publiques n’ont pas atteint tous leurs objectifs et en prévenant le risque d’ostracisme de ces territoires, l’approche doit être globale, multi-acteurs et multi-secteurs. Au-delà de l’amélioration de l’intermodalité des transports pour « désenclaver » et du redéploiement des antennes de services publics pour « reconnecter », citons pêle-mêle la promotion de la culture entrepreneuriale, la création d’incubateurs d’entreprises, la facilitation de l’accès au financement et aux partenariats public-privé, le renforcement de « l’employabilité » des jeunes avec la montée en puissance des dispositifs de formation en alternance et continue. Et si l’insertion des habitants passe par l’emploi, une juste rémunération du travail, la réputation des quartiers populaires pourrait aussi passer par une stratégie de « marketing territorial » : relever le pari des industries créatives (musique, cinéma, mode, art…) pourrait par exemple contribuer à apprécier l’image de ces territoires.