Tribune publiée le 30 Mai sur le site de la Revue Politique et parlementaire
Pour le président du think tank Etienne Marcel, la dépendance financière du secteur de la culture par rapport à l’Etat explique la tentation récurrente de se payer de mots.
De tous temps les artistes ont eu des relations difficiles avec le pouvoir séculier ou religieux. Le pouvoir ou l’autorité publique a tendance à vouloir régenter et mettre dans des catégories. Les artistes prônent la liberté : liberté de créer, la liberté de s’exprimer, liberté de se déplacer… Dans la France de 2023, on s’interroge sur le bien fondé des interpellations intempestives contre la réforme des retraites à l’occasion de la cérémonie des Molières ou du Festival de Cannes. Et si la crise sanitaire a particulièrement touché tous les secteurs culturels et freiné leur dynamique de croissance, la “netflixisation” d’une partie du système a accéléré les mutations lourdes sous-jacentes et montré le besoin de financements variés.
Ne pas se tromper de danger
C’est vrai que les voix de Camus, Sartre, Beauvoir, Reggiani, Montand, Signoret, Gavras nous manquent… Mais quels seraient aujourd’hui leurs grands combats ? Celui de la réforme des retraites est un peu court quand on sait que ce texte a été adopté par notre parlement puis validé par le conseil constitutionnel. Pour autant, nos grands festivals sont en danger.
Ils doivent faire face à une contre-culture mondiale qui combat certaines de nos valeurs comme la place de la femme, la liberté d’expression, la liberté d’aimer et de choisir sa sexualité, la liberté de se réunir, de lire, de s’exprimer ou de se déplacer les cheveux libres au vent…
Après 24 mois de Covid-19, la France renoue avec les grands événements culturels nationaux et régionaux. C’est une bonne nouvelle pour les artistes, les industries culturelles, les populations et les touristes. Aujourd’hui les grands événements culturels sont mondialisés et la concurrence n’est pas facile compte-tenu des moyens financiers que mettent certains grands investisseurs pour promouvoir leurs “produits culturels”. Car, à quelques exceptions près, la culture est désormais art et industrie.
L’État au rendez-vous
La “marchandisation de la culture” est malheureusement une réalité mondiale, elle n’est pas une exception française. La crise sanitaire a éloigné de la culture celles et ceux qui déjà en étaient les plus éloignés : les jeunes, les séniors isolés, les familles monoparentales.
Elle a rendu plus fragiles tous les métiers de la culture qui, malgré un talent incomparable, avaient déjà du mal à vivre décemment faute de notoriété, d’accès aux grands médias, de rencontre avec un public nombreux.
N’oublions pas que le ministère de la Culture a mobilisé près de 2 G€ en 2020 et début 2021 pour sauver les entreprises du spectacle vivant (823 M€), du patrimoine (710 M€), du cinéma et de l’audiovisuel (453 M€), selon la Cour des comptes, sans compter “l’année blanche” pour les intermittents du spectacle, le chômage partiel, les fonds de garantie…
Sans compter non plus le financement des régions et des entreprises privées qui joue un rôle non négligeable y compris pour les premiers films.
L’engagement financier des entreprises privées en matière de soutien à la culture est méconnu mais bien réel.
C’est ce “néolibéralisme” maîtrisé qui nous permet de pouvoir héberger des artistes en résidence, promouvoir des compagnies théâtrales à travers le pré-achat de billets, soutenir la tournée d’un musicien, acheter tel ou tel ouvrage pour aider son auteur à gagner une juste notoriété… Il faut sans aucun doute des moyens renforcés pour la culture, une réalité de tous temps, mais aussi des règles fiscales allégées pour les investisseurs.
Vive la diversité !
Défendre notre ambition culturelle est un beau défi. Mais le temps des barrières douanières ou la dépendance aux subventions publiques est révolu. Il faut changer nos mentalités.
Les filières culturelles sont une mosaïque, plurielle et mondiale.
Elles agrègent un ensemble de secteurs d’activités variées, méconnues, qui produisent et distribuent des biens, ou des services culturels et créatifs, qui peuvent devenir une composante majeure de notre économie. Le numérique est devenu incontournable, c’est une attente forte du consommateur. Il lui donne une nouvelle valeur, une nouvelle place, d’aimer une œuvre, de ne pas l’aimer, la zapper et le faire savoir. C’est aussi un formidable outil de création et d’externalisation pour les artistes.
L’Etat, les régions voire les grandes entreprises ont toujours été des acteurs incontournables pour les grandes œuvres. Elles ne peuvent et elles ne doivent plus être les seuls financeurs de notre culture. Si nous voulons rendre la culture plus ouverte, si nous ne voulons pas d’un modèle culturel unique, si nous voulons rendre accessible au plus grand nombre dans les territoires l’accès à la culture, il faut diversifier les sources de financements. Encourager les entreprises comme les particuliers à défiscaliser les deux tiers de leurs dons vers des biens culturels, des entreprises et des artistes de proximité qui font vivre la culture de nos territoires et nos savoir-faire. Y compris les accompagner à l’international en les invitant dans nos entreprises qui ont des sièges ou une activité économique significative à l’étranger. Sans cette prise de conscience et le soutien de Bercy qui validera les exonérations adaptées, le militantisme culturel ratera sa cible.
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